Nos vacances d'été à la ferme - 3) Nos activités régulières

Après ces deux années de petite enfance qui se passa à jouer et à chanter dans la balançoire sous les gros saules vermoulus, le programma changea.  Nous apprîmes à tricoter et à "flaser" (broder), ce qui occupa ensuite une grande partie de nos loisirs.  Chaque jour, nous faisions une dictée pour nous tenir l'esprit en alerte et en plus nous lisions beaucoup.  L'album "Fillette" nous passionnait.

Ma tante Bine - surnom de Albertine inventé par Simonne - faisait toute notre couture.  Quand c'était à notre tour d'avoir une robe neuve, l'heureuse élue restait dans la maison pour être à la portée de "la couturière" durant l'essayage.  C"était une fête, car personne autrement ne restait dans la maison.  Une fois levé, tout le monde descendait dans le bas-côté où nous prenions tous nos repas avec les mouches - car la porte restait ouverte - et souvent quelques poules dévergondées sorties de la cour entraient aussi dans la cuisine d'été.  Quand venait la brunante, nous entrions à la maison et ma tante allumait la lampe à l'huile.

Vers les huit heures et demie, nous montions pour nous coucher, mais il ne fallait jamais toucher à rien.  Partout de longues catalognes s'étendaient sur le plancher sauf à l'entrée des chambres où de petits tapis crochetés nous accueillaient.  Des coussins, des nappes de filet, des porcelaines, de très jolies lampes : autant de choses belles à regarder mais que nous ne devions jamais toucher.  Il en allait autrement chez-nous où pourtant c'était aussi beau.

Le lundi matin, c'était jour de lessive.  Mon oncle Jos sortait du bas-côté le moulin à laver, le plaçait dehors et le remplissait d'eau chauffée sur le poêle à bois dans les "boilers".  Sur une grosse table qui restait toujours dehors à la même place et sur laquelle chacun se lavait les mains dans le bassin, ma tante Bine plaçait le gros cadran Big Ben et chacune devait faire un brassage de dix minutes.  Quand le lavage était terminé, on ôtait le bouchon et l'eau se répandait par terre en fines rigoles.  Le linge aux couleurs multiples étendu sur la corde me faisait penser à des étendards claquant au vent joyeux.  Quand le linge était séché, ma tante nous en faisait de petites piles que chacune de nous devait repasser avec les fers chauffés sur le poêle.  Comme de raison, des fois j'en brûlais des morceaux.  Ensuite ma tante prenait le linge repassé qu'on lui tendait par pile au bout  de la galerie près du bas-côté et elle allait le ranger dans de grandes armoires qui sentaient délicieusement la lavande.

Le mercredi matin, c'était jour du marché. Tout le petit monde était surexcité, car on aidait mon oncle à laver les légumes.  Dans un grand bain de tôle qui restait toujours dehors à cet effet, le lavage en grand commençait.  Après, nous attachions les légumes avec soin en jolis bouquets.  Ah! la bonne odeur de jardinage!  Enfin toute la marchandise était rangée délicatement dans la voiture et mon oncle attelait alors le cheval qui paraissait heureux d'entreprendre, soutenu par nos encouragements empressés, un si long voyage.

Tout fin prêt, mon oncle s'asseyait sur le siège et, enfoui sous un immense parasol, partait pour le marché à Montréal.  Nous l'accompagnions à pied un bout de chemin et Carlo notre chien gambadait autour de nous.  Après avoir encouragé le cheval encore une fois, nous revenions à la ferme.  Attendre jusqu'au lendemain soir le retour de cette équipée valeureuse était un supplice pour moi.  D'ailleurs toutes nous avions hâte que mon oncle revienne parce qu'il arrêtait chez nous pour la nuit: ma mère préparait alors bonbons, journaux et surprises que nous déballions avec empressement au retour de mon oncle.

Un jour, maman décida que nous étions toutes trop grandes pour continuer à aller passer nos vacances à la ferme.  Alors, on changea de tante.  Parfaitement!  Ce fut une nouvelle étape de notre vie.

Lorraine Nacké

encore une fois merci pour ce beau partage de notre histoire. J,ai été élever sur une ferme, et je revoie quelque moments de ma vie.
Merci Lorraine