La visite paroissiale

Une fois par année, les prêtres visitaient les paroissiens.  C'était une visite formelle, on échangeait des salutations, on présentait la marmaille, le prêtre remarquait la présence ou l'absence d'un bébé dans la famille, on sollicitait quelques faveurs du ciel, on obtenait la bénédiction.  En retour de tant de grâces... on payait la dîme.

Quand la visite paroissiale était annoncée en chaire, c'était l'affolement des ménagères.  Après la messe, on ne parlait que de ça et vite on commençait le ménage dès le lendemain.  "Chère vous, il ne me reste que mes globes de lampes à nettoyer et mes dessus de dentelle des fauteuils!"  Et sans plus s'attarder à la fenêtre, la bonne dame se rentrait la tête après avoir secoué vigoureusement un paquet de chiffons.  Et l'autre continuait d'astiquer sa poignée de porte et sa clochette :  elle n'avait jamais fini parce que tout à chacune qui passait s'arrêtait pour lui dire où elles en étaient de leur fameux ménage.  À une, il ne lui restait que l'escalier à laver.  À l'autre,,, c'est bien simple, elle ne s'arrêtait même pas pour parler, tant elle avait beaucoup à faire, pensez donc elle n'avait rien commencé encore.  Jamais les accessoires de ménage ne s'étaient vus tant bousculés et n'y comprenaient rien.

Enfin le jour si attendu arrivait.  Dring! Dring!   On s'empressait d'aller ouvrir la porte d'entrée.

Le prêtre, qui depuis le matin faisait des visites de porte en porte, avait bien remarqué dans toutes les maisons cette même odeur de savon fort, de cire, de mine à poêle.  Ce pauvre abbé se demandait ahuri comment une mère de famille entourée d'une ribambelle d'enfants pouvait bien faire pour tenir maison si brillante de propreté.  Il aurait mieux fait de le demander aux enfants, ces martyrs de l'heure qui étaient tenus quasiment comme dans du plâtre dans leurs petites toilettes empesées qui n'avaient pas le droit de bouger, de s'asseoir, de sauter, de toucher à rien, attendez les enfants, le prêtre s'en vient, le prêtre va arriver.

Finalement impatientée, la mère envoyait l'aînée sur le perron pour voir venir le prêtre et l'enfant rentrait presque aussitôt en hurlant : "Maman, maman, le prêtre vient de rentrer chez madame Lalonde!"  Ce qui voulait dire à deux portes  de chez nous.  "Mon Dieu! Mon Dieu!" criait la mère proche de la crise de nerfs.  Elle s'emparait d'un torchon et se précipitait au salon pour épousseter une dernière fois.  Bougez surtout pas, les enfants!

Et les enfants terrifiés, glacés d'épouvante, se tenaient demi-morts tout au fond de la cuisine, appréhendant la visite du diable, tant la visite du prêtre semblait redoutable à leur pauvre mère.

Lorraine Nacké